Lettre de Mohamed Bensaid
aux jeunes du Mouvement 20
février

Hommage aux jeunes du Maroc, filles et garçons, hommage au mouvement du "20 février", qui a ouvert au peuple marocain une porte sur l'avenir de la dignité.

Hommage à vous, nouvelle génération, qui est en harmonie avec son époque et qui rêve de la société de la science et de la citoyenneté. Nouvelle génération, qui a triomphé de nos hésitations, nous la génération de la lutte contre le colonialisme. Nouvelle génération, qui a rallumé la flamme de la génération des "années de plomb", a dépoussiéré sa volonté profonde de changement, et saura peut-être la faire sortir de ce statu quo, qui lui a été imposé, tantôt par la répression féroce, tantôt par la manœuvre politicienne, à laquelle a malheureusement participé une bonne partie de la génération des bâtisseurs du nationalisme et de la lutte contre le colonialisme.

Hommage à vous, à votre vigueur et à votre élan, qui insuffle à la nation marocaine un flux de vitalité, afin d'être un sujet pleinement actif de son époque, en interaction positive avec le troisième millénaire, en vue de s’assurer une présence digne dans l'espace de la mondialisation.

Hommage aux jeunes, filles et garçons, qui ont déclaré au monde que le peuple marocain n'est pas stérile. Hommage aux jeunes, qui aspirent à devenir les pionniers du mouvement de changement authentique, aux jeunes, qui seront qualifiés par l'histoire comme "les bâtisseurs de la citoyenneté marocaine".

Je n'ai pas besoin de vous faire part, jeunes Marocains, de ma solidarité absolue avec votre mouvement, le "Mouvement du 20 février", qui a fait sortir dans la rue, de manière pacifique et civilisée, les masses scandant les revendications et les ambitions des générations qui vous ont précédé, mais qui n’avaient pas réussi à transformer en une force active. C'est précisément ce que vous avez réalisé avec intelligence, détermination et sérénité.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler, vous qui êtes fiers de votre marocanité, jaloux de votre pays, que la patrie ne se consolide et ne se fortifie qu'avec les droits de la citoyenneté, et que le bouclier infranchissable de la patrie est le citoyen. Le citoyen, qui perçoit que sa citoyenneté n'est pas dévoyée et que sa devise se résume en : une vie décente, dans une société productive, solidaire et démocratique, où rien n'est au-dessus de la loi élaborée par des institutions qui reflètent honnêtement la volonté du peuple. Le peuple qui est la source du pouvoir et de la souveraineté.

Je n'ai pas besoin de souligner que la réalité de notre pays est loin de ces aspirations et que votre soulèvement visait exactement la dénonciation du clientélisme, du népotisme et de la corruption endémique ; des inégalités sociales choquantes ; des abus de pouvoir ; de l'impunité ; de l'arrogance des responsables ...

Mais, je dois vous avouer, alors que j'ai achevé la huitième décennie de ma vie, que mon cœur est en proie à de lancinantes craintes, quant à la destinée de notre Maroc bien-aimé.

J'ai peur pour l'unité de la patrie, parce que les approches sécuritaires des questions politiques, le traitement clientéliste des problèmes sociaux, ainsi que le traitement partiel et conjoncturel des exigences de la réforme structurelle, conduisent à la dissipation

continue du sentiment collectif d'appartenance à la patrie. Quand la patrie devient "miséricordieuse" à l'égard de certains et "ingrate et négligente" à l'égard d'autres, lorsque les proscrits, les exclus sont majoritaires, la patrie est alors effectivement en danger.

Je crains que la plupart des élites, qui vous ont précédé et qui occupent des postes de premier plan dans les instances politiques, les organisations de la société civile, les médias et les institutions universitaires, restent confinées dans une posture d'adaptation au "statu quo", tantôt justifiant sa routine et son inertie, tantôt pleurnichant sur l'absence d'une véritable force de changement.

Les personnes privilégiées et influentes au sein de l'État, ont profité du repli, à contrecœur, des élites des générations précédentes, y compris la mienne, dans l'attentisme et l’acceptation du statu quo.

Je crains que les responsables de la dépravation de notre pays, ne mobilisent tous les bénéficiaires de la situation actuelle pour attaquer votre noble mouvement, par leurs écrits, leurs programmes de télévision et leurs divers suppôts. Parce que, s’il y a des indécis parmi eux qui tablent sur l’extinction du flambeau que vous avez allumé, il y en a d'autres qui n'hésiteront pas à saper tout ce qui est brillant et beau dans notre peuple, parce qu’ils n’évoluent que dans l'ombre, tels des vampires.

En dépit de mes craintes, en tant que vieux qui rêve toujours d'un espoir brillant pour le peuple marocain, je reste optimiste en votre capacité et votre vigueur, vous les filles et les fils du Maroc de demain, à dissiper, avec votre détermination et votre perspicacité, les craintes et les hésitations des indécis, à prendre le dessus sur les visées des oppresseurs corrompus et des escarmouches de leurs porte- voix. Et que vos revendications justes, en particulier celle de la "monarchie parlementaire", puissent trouver un écho favorable chez le jeune roi

du pays, qui est responsable de l'unité de la patrie et de la tranquillité du peuple. Je vous salue, Ô jeunes du Maroc, Ô "bâtisseurs de la citoyenneté", avec fierté, respect et considération. Le peuple, est votre peuple, le Maroc est votre pays, conduisez-le au travail et redonnez-lui l'espoir ». Mohamed Bensaid Ait Idder
L’un des dirigeants de la Résistance et de l’Armée de libération Militant, l’un des fondateurs de la gauche marocaine